L'ambiance chez les coopérants est excellente ... du moins si on n'y regarde pas de trop près.

Tout le monde se tutoie (normal dans le supérieur scientifique), c'est très convivial, accueillant. On s'entraide pour trouver un logement, un véhicule, etc.

Par contre, tout doucement, je m'aperçois que je ne suis pas vraiment dans le moule.

Je ne participe pas au club de bridge qui se réunit tous les mardis soirs. J'ai essayé une fois, mais ça m'a vite gavé !

Je suis inscrit au tennis club, mais je participe peu … et je joue très mal !

Ok, je roule à moto … mais je suis le seul dans toute la ville.

Je passe peu de temps à la piscine du grand hôtel du coin (le « Léconi Palace », un des hôtels du président) alors que tous les coopérants s'y retrouvent dès qu'ils ont un moment de libre. Les femmes, généralement oisives, de ces coopérants y font d'ailleurs le siège de 14h à 19h, tous les jours.

Je ne parle pas de ce que je gagne et comment je place le surplus, but essentiel du coopérant de cette époque.

Je ne me plains pas non plus de ces domestiques qu'on n'arrive plus à contrôler et qui en veulent toujours plus.

Et surtout, sacrilège, je me mélange aux autochtones gabonais !

 

Ben oui ! Je suis venu au Gabon avant tout pour connaître une autre civilisation, nouer des liens, aider les étudiants à s'en sortir dans les études et éventuellement aider aussi des futurs amis gabonais à s'en sortir financièrement.

- Mais tu n'y penses pas ! Il n'y a aucune civilisation ici ! Les gens ne savent même pas écrire pour la plupart. Ils sont tous comme ça ! Y'a rien à en tirer ! Il n'ont aucune civilisation. Heureusement qu'on est là !

- Ok ! Mais ils pensent, non ? Ils ont des coutumes, selon leurs ethnies ? Des croyances ? Les cultes des ancêtres, les forces de la nature, ça m'intéresse tout ça ! Ils ont différents de nous, mais ils peuvent sûrement nous apprendre aussi beaucoup.

Du coup, je suis plus ou moins pestiféré dans les milieux bien pensants.

 

En plus je me suis mis en ménage avec une femme gabonaise ! Un coopérant digne de ce nom a une femme blanche, des enfants blancs, et reste dans le milieu « supérieur ».

 

Bien sûr, on ne me dit rien par devant. Mais j'entends des bruits. Je ne suis plus invité. Du moins par les blancs, parce que mes amis gabonais, eux, m'invitent. Et ces contacts sont des plus captivants.

 

Et puis, je sors en boite. Pas pour draguer : je suis avec ma compagne. Pour danser monsieur ! Moi qui déteste ça en France, ici je suis dans mon milieu. Tout le monde en cercle à faire des figures sur le Koissa-koissa ! La franche déconnade ! On ne se connaît pas, mais qu'est-ce qu'on rigole !

Dans les boites, on trouve le gabonais moyen, mais aussi les sommités de Franceville : le gouverneur, le commissaire, le juge … tous ces gens là sur un pied d'égalité à se trémousser en rythme dans une ambiance décontractée.

Les contacts se font naturellement. On finit par se tutoyer … et on se retrouve ensuite dans la vraie vie, ce qui procure naturellement un certain cercle de relations.

 

Dans les boites, il y a aussi les filles. Celles qui n'ont pas de mari et qui cherchent le mari d'un soir qui les entretiendront le lendemain. Bien sûr, les bien pensants diront : « toutes des putes », sans chercher plus loin.

Est-ce que seulement ils savent qu'une femme qui voulait travailler, dans ce pays à cette époque, devait souvent passer par le lit du patron ? Alors pourquoi « travailler » pour gagner une misère alors qu'on gagne correctement sa vie avec un homme qu'on a davantage choisi ?

Mais pour cela le coopérant moyen doit mettre de coté ses clichés et principes, descendre de son complexe de supériorité et essayer de comprendre. Mais pour comprendre les gens, il faut d'abord s'y intéresser !

 

Bref, les familles bien pensantes causent sur mon cas ainsi que sur celui des rares coopérants qui partagent mon point de vue et ma façon de vivre. Et ça joue au bridge. Et au tennis. Et au bridge. Et au tennis. Et entre deux parties, ça critique. Ca vit en milieu fermé. Ca n'a rien à dire, donc ça parle de ceux qui ne sont pas là.

Et tout ça, ça dure une longue année scolaire au bord de la piscine ou lors de soirées bien pensantes. Mais juin approche !

 

Les écoles et lycées fréquentés par les enfants des coopérants ferment début juin. Les femmes oisives des bien pensants rentrent en France avec leurs enfants, pour des vacances bien méritées (?) pendant que leurs maris restent à Franceville jusque début juillet : il y a encore du travail, mais surtout, argument suprême non-dit, la prime d'expatriation est coupée dès qu'on prend l'avion pour la France. Ne partons pas trop tôt !

 

Le premier samedi de juin, ma compagne et moi allons comme tous les samedis soirs en boite. Et qu'avons nous la surprise d'y voir ?

Certains des maris bien pensants qui s'encanaillent avec les filles gabonaises !

Revirement total de comportement dès que leurs femmes ont le dos tourné. Et ça danse, et ça boit, et ça rigole, et ça tripote, et ça repart, mais pas seul.

Prendront-ils des précautions contre le SIDA au moins ? Rien n'est moins sûr, dans ce moment si longtemps et secrètement désiré ! C'est qu'on a huit mois de frustration à rattraper !

 

Les gabonaises, qui ne manquent pas d'humour, appellent ce mois de juin « le mois du blanc » !